L’art de toucher

massage

Il y a encore peu de temps je pensais que l’essentiel de ma pratique se basait sur le massage. En fait, l’essentiel de ma pratique est basée sur le toucher. C’est un champ bien plus vaste, qui englobe tellement de ce qui se passe en séance que je n’avais jamais pris le recul nécessaire pour le réaliser pleinement.

J’aime beaucoup partir d’une expression du langage courant pour illustrer mes propos. Alors, voyons d’un peu plus près celle-ci : « ça me touche ».

La plupart du temps personne ne m’a touché physiquement quand j’emploie cette expression. Néanmoins il s’est passé quelque chose dans mon corps, le plus souvent le long d’une ligne qui passe par la gorge, le cœur, le ventre, le sexe. Cela peut être une ouverture ou une contraction, agréable ou désagréable.

Toucher c’est entrer dans l’espace privé de l’autre. Quand on touche physiquement, cette dimension privée devient facilement intime, ou sacrée. Quand on masse quelqu’un, il faut être présent à soi-même et conscient de ce que l’on fait, on ne touche jamais à la légère.

Comme je l’écrivais dans un précédent article (« Le corps à livre ouvert« ), toucher est une partie essentielle d’un diagnostic. Ai-je envie de toucher cette personne ou cela me gêne-t-il ? Me sens-je autorisé à la toucher ? Où ai-je envie de la toucher ? Avant même le premier contact, je vais être attentif à tout cela. Pas forcément consciemment bien sûr, je ne fais pas une check-list, mais je serai attentif à tous ces signaux.

Vient l’instant du contact. Peau à peau, ou à travers un vêtement, je pose ma main, ou juste les doigts. Et j’écoute. Avec mes oreilles j’écoute le souffle de la personne, avec mes doigts j’écoute aussi. Souvent je ferme les yeux car l’échange est très subtil, je dois me concentrer pour entendre. J’écoute l’histoire que le corps a à raconter. Je pourrais expliquer cela de façon plus scientifique, mais ce serait très long. Dans le corps est inscrite l’histoire de la personne. Dans toutes les couches qui la constituent – la peau, les tissus conjonctifs, les muscles, les os – se sont inscrits des événements, des traumatismes, comment il a fallu s’adapter et les changements de structure que cela a engendré. Des émotions enfouies et bien cachées, des déchirures raccommodées tant bien que mal, des vides qui n’ont pas pu être comblés, des chocs qui bloquent toute circulation. Avec beaucoup de pratique, de temps et d’attention, toutes ces informations deviennent de plus en plus facilement perceptibles et forment une cohérence, racontent une histoire, c’est pour cela  que je parle d’écouter avec les doigts.

Parfois il est bon d’échanger avec la personne, de lui demander ce qui se passe pour elle ; est-ce que quand je touche cette zone cela évoque quelque chose ? Une image, une couleur, une impression, une émotion peuvent apparaître et compléter le paysage. Cela permet aussi au patient d’affiner sa conscience corporelle, d’y être plus attentif et de mieux percevoir ce dont le corps à besoin ou ce qu’il essaie de dire ou de réprimer.

Fort de ces informations, celles que le corps me donne et celles partagées verbalement, je vais suivre la dynamique que je sens sous mes doigts et je vais accompagner l’émergence ou la dissolution de la mémoire corporelle engrammée. Cela peut se produire de façons très diverses, parfois c’est une explosion d’émotion, parfois l’impression d’un bourgeon de fleur qui s’ouvre et exhale son parfum, parfois il faut du temps et de nombreuses séances pour qu’enfin le processus de guérison devienne perceptible et efficient.

Je ne parlerai pas de techniques de massage dans cet article. Elles sont nombreuses et très différentes, et cela ne serait pas d’une grande utilité dans la mesure où – comme pour la pratique d’un instrument de musique par exemple – il ne suffit pas de lire pour comprendre, il faut aussi une pratique assidue. Il faut aussi avoir été beaucoup et bien massé pour sentir vraiment l’effet de ces pratiques et en percevoir toute la dynamique et toute la puissance. Néanmoins, ami lecteur, à l’occasion tu me feras penser à te parler de ma pratique favorite, le draînage profond (« deep draining » pour faire plus classe), juste pour le plaisir de partager ma passion avec toi.

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